En quelques mots…

Construction de l’œil

Traces de temps détruites ou refroidies, vestiges d’une coulée de lave obscurcie ou dorée, cette matière travaillée se pare de la mélancolie d’une plage pétrifiée. La terre s’écrit et raconte ses trésors de résonances colorées. Dans la série « Traductions » les inclusions et les assemblages de ciments, de chaux, de pigments, de métal construisent des fragments d’une géographie résultante de plissements ou d’une orogénèse abolie. Mais ce titre « Traduction » amène aussi à une écriture, une autre écriture et l’œuvre plastique serait aussi de l’ordre de l’écrit, de la graphie, dans ce qu’elle a de l’incise et du graphe c’est-à-dire de la pierre ou de la « terra scrita ». Mais « Graphies » est le titre d’une autre série ou la matière délivre une effervescence de tons ou s’écrirait une impérieuse géographie – dans le sens de graphie de la terre. Ce n’est pas seulement la terre ou l’on peut s’inscrire, et écrire – mais la terre qui écrit et nous écrit.

Le travail de Mario SABATY est d’abord matiériste et la matière ici frôle le relief, la sculpture. Que ce soit dans ces séries ou bien dans les formes ovoïdes des « hybrides », nous sommes dans une approche qui allie une vision de peintre à celle du sculpteur. Peut-être sommes-nous dans le coeur d’un des sens du mot plasticien ? La cellule souche du concept. Ce qui était plastique, en mouvement, s’est figé en une forme où sont inscrits les couleurs et les signes. Les couleurs et les signes comme traces d’un improbable trésor. Mario SABATY est un plasticien à la recherche d’un trésor et qui nous apporte des scories ou les restes d’une naissance passée. Il s’agit aussi d’une magie ou se joue un talent d’orpailleur et en même temps de forgeron avec, dans le mot « forgeron », ce qui a trait au feu ou à la volcanologie. Le plasticien est aussi cuiseur de terre et il découvre une écriture. Les « haïkus » disent cette volonté de poésie instantanée, délicate jusqu’à l’épure. Les « haïkus » sont cette poésie de la terre, fragments de temps qui cinglent l’instant dans cette proposition horizontale. Écriture horizontale donc, que ce soit celle de la terre ou celle du plasticien.

Le plasticien serait encore poète et géographe, mais le travail semble avoir évolué des plaques colorées à une sculpture qui peut prendre aussi la figure de l’installation. La sculpture est féroce, sanglée dans un rêve de retenir une force de douceur indomptée. La pierre est soumise et pourtant prompte à se désangler et faire naitre une catastrophe imminente et annoncée par la fragilité des liens qui retiennent un inexorable. Les installations sont éphémères et tracent dans les plateaux du Ghjussani, en Corse, les restes d’une architecture de Xoana, sculptures – pieux, plantés pour crier une existence. Les « hybrides » tracent une voie qui allie, et ici véritablement, peinture et sculpture et serait le chemin d’une naissance – et donc d’une défaite – ou trace encore d’un évènement qui dit une vie, témoignage donc d’une éclosion.

Les panneaux/volumes et les séries intitulées « Traductions », « Graphies », « composites », « Fragments », « faux jumeaux », « haïku » sont construites sur un même procédé « terrifiant », c’est-à-dire : nous sommes ramenés à la terre, mais une terre remplie de papillons. Papillons de couleurs ou papillons de nuit, faits de tons mordorés et qui laissent sur les doigts, quand on les touche, des poussières cosmiques. Mais cette vision de la terre n’apporte pas de traces évidentes d’une paréidolie. Le propos est ici dans l’avant-humain, avant la figure de l’humain, ou ce qui était bien en deçà d’une perception humaine, un territoire donc, d’avant la naissance ou d’une vision intra placentaire. La vision de Mario SABATY frôle une neurophysiologie de la perception, avant que les yeux soient les yeux et qu’ils soient à la limite d’une altération de perception, avant que les yeux soient deux, et qu’ils fabriquent les faux positifs, des faux jumeaux. Il me semble que la série intitulée « Faux jumeaux » dit exactement ce problème d’une vision avant la vision une synchronicité jouée. Là où la vision cherche le même, ou la même couleur, là où les ailes des papillons ne savent pas qu’elles sont deux.

Les plaques de matière limoneuse, mais dorée ou teintée de goudron et de lazulite et pétrifiée en carapaces ont donné naissance à un être hybride, ou métis, qui serait sorti que ces formes ovoïdes justement intitulées « Hybrides ». La géographie, le texte, et le paysage étaient une coquille. Le travail de Mario SABATY est d’abord le développement, l’évolution en chrysalide d’une autre façon de voir, d’abord piégée dans la matière, mais qui devient aussi une altération en leurre et qui se joue de la lumière,… une histoire de cette vision et de ce qui est pour nous, l’instrument le plus familier de la vision : l’œil.

Bernard Filippi, affaires culturelles CTC
Ajaccio, 8 juin 2016 

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Mario SABATY

Ce qui se joue dans l’œuvre de Mario Sabaty se situe étonnamment à mi-chemin entre l’art et l’archéologie. En résonance étroite entre peinture et sculpture, la démarche de l’artiste s’inscrit dans la lignée de celle des peintres dits «informels». Dans des œuvres matiéristes qui figurent les traces laissées par le temps, -strates résiduelles-, c’est une matière riche et puissante qui envahit le support et le sature avec équilibre pour en souligner la présence. L’intention de l’artiste est d’explorer, de fouiller, de manière sérielle, plusieurs voies d’interrogation de la matière, du format, du relief, par une capacité de résister aux chocs du temps, de l’histoire, de nos histoires.

Si Mario Sabaty dit «photographier» des instants et les représenter dans leur plus pure complexité, par l’usage de différents médiums, il cherche également l’harmonie dans ce que l’usure a pu permettre sur des matériaux érodés et les traces qui ont été recouvertes par d’autres couches substantielles. Ce jeu, avec le temps matérialisé est, à chaque œuvre, une réflexion, une possibilité de refigurer, de redonner sens à ce que l’on pensait perdu. Cette lecture initiatique, cette découverte nouvelle de la temporalité vont ainsi bien au-delà des confusions apparentes.

La série intitulée «Traductions» conjugue des traces importantes et une écriture filigranée qu’il nous faut décrypter. Entre ces deux graphies distinctes ou vestiges de dialogues, le regardeur pourra librement tenter de saisir les correspondances significatives. La série dite «Graphies», par ces idéogrammes, ces reliefs aussi, rappelle étrangement les gravures rupestres des temps ancestraux. «Composites» enfin, brouille les pistes par les conglomérats de métal, de ciment et de couleurs. Les œuvres de Mario Sabaty sont des fragments de temps que l’artiste créateur s’attache à recomposer.

Rodolphe COSIMI, peintre, écrivain et critique d’art
avril 2010

 

 

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